Prison Gate. 1 : une proposition de résolution pour faire toute la clarté sur le financement des nouvelles prisons

Pour la « Plateforme pour sortir du désastre carcéral », le temps est venu pour le débat démocratique et le contrôle parlementaire dans la gestion du projet de méga-prison à Haren ! Au cours de la conférence de presse qu’ils ont tenue ce mardi 12 janvier, la Plateforme et les députés signataires ont présenté une résolution demandant un audit de la Cour des comptes sur le financement en Partenariat Public-Privé (PPP) des « prisons modernes » de Belgique, ainsi que les raisons de cette demande d’audit.


En dépit des nombreuses objections soulevées par la « Plateforme pour sortir du désastre carcéral » [1] quant au projet de méga-prison à Bruxelles-Haren (mise à mal des droits de la défense, nuisances environnementales sévères, mobilité,.), l’État fédéral s’obstine dans ce projet aberrant aux implications financières extrêmement lourdes. Celles-ci sont liées au choix d’un partenariat public-privé conclu avec le consortium d’entreprises privées Cafasso, pour exploiter la plus grande prison du pays. Ce méga-projet grèverait les finances de l’État durant 25 ans. Le temps est venu pour le débat démocratique et le contrôle parlementaire !

Face à l’opacité complète dans laquelle sont actuellement négociées les conditions de réalisation de ce méga-projet, la Plateforme a élaboré une proposition de résolution demandant un audit de la Cour des comptes sur le financement en Partenariat Public-Privé (PPP) des « prisons modernes » de Belgique. Cette résolution a été signée par six députés du Parlement fédéral. La Plateforme et les députés signataires ont présenté cette résolution précitée et les raisons de cette demande d’audit, au cours d’une conférence de presse ayant eu lieu ce matin.

En introduction Madame Fivé, s’exprimant au nom de la Plateforme, a rappelé les principales demandes de cette dernière, « à savoir, le gel de l’exécution des Masterplans prisons et une évaluation complète de la situation, l’adaptation de l’appareil pénal pour réduire l’enfermement. Par ailleurs, la Plateforme s’oppose à l’implantation d’une prison bruxelloise loin du centre-ville et du Palais de Justice ainsi qu’à l’implantation d’une prison sur un espace vert et demande dès lors de programmer la fermeture de la prison de Forest et le maintien de l’emplacement des autres prisons existantes dans le centre urbain ».

Monsieur Licoppe, économiste, membre indépendant de la plateforme, a expliqué que « les États connaissant une aggravation de leur déficit et de leur endettement sont contraints d’innover en terme de financement. Ils ont dès lors recours à des PPP, en particulier des contrats DBFM (Design, build, finance and maintenance). Le recours à ces formules se justifie essentiellement sur le plan comptable car le PPP permet de contourner, à certaines conditions, les normes comptables européennes devenues plus strictes. Ces PPP laissent dès lors dubitatifs quant à leur transparence en terme de financement et de coûts. L’institut des comptes nationaux, dans un avis émis en 2012 au sujet du recours aux PPP, soulignait l’impossibilité de connaître avec clarté les risques qui pèsent sur le secteur public quant à cette forme de financement. En France, il a été démontré que les indemnités annuelles octroyées par l’Etat aux prestataires privés sont 2 à 3 fois plus élevées que lorsqu’un établissement carcéral relève entièrement du public. Il s’agit une nouvelle fois d’une forme de privatisation des profits et de socialisation des pertes ! »

Monsieur Stein, avocat, indique qu’« au travers des problèmes soulevés ce jour, c’est la valeur même du droit de vote qui est en question et le poids réel effectif que l’on veut accorder aux citoyens. Derrière le financement sous forme de PPP, se cache un enjeu constitutionnel sous-jacent. Il importe que le Parlement reste informé et maître des questions budgétaires. C’est à lui qu’il revient de définir et de contrôler le budget fédéral »

Monsieur Maingain, député fédéral (DéFI) a précisé que « le projet de Haren n’est pas le seul à être visé par la proposition d’audit mais il est symptomatique de l’absence de transparence démocratique dans les choix du gouvernement fédéral dans sa politique pénitentiaire. Malgré ses conséquences catastrophiques en termes de budget, d’environnement, de justice et de mobilité, le dossier “Haren” se construit dans une opacité que dénonce DéFI depuis son lancement. En juillet 2015, j’ai interrogé le ministre de l’Intérieur : il m’a répondu qu’il y avait une base juridique, des engagements de l’Etat : il s’était engagé à fournir les conventions liant l’État au consortium Cafasso, mais nous n’avons jamais rien reçu ! C’est comme le monstre du Lochness : on nous dit qu’il existe, mais personne ne l’a jamais vu. J’ai ensuite interrogé la Cour des comptes, selon laquelle il n’y aurait ni dossier ni contrat pour ce projet, de sorte qu’il n’y a aucun engagement de l’État à faire construire cette prison. Donc quand le Ministre de la Justice dit aujourd’hui que la Belgique devra indemniser le consortium si le projet ne voit pas le jour, c’est faux ! J’ai d’ailleurs déposé une question auprès du Ministre de l’Intérieur, en charge de la Régie des bâtiments, pour qu’il clarifie la situation juridique et à quel point l’État est réellement impliqué dans ce projet. Quant au consortium, on ne sait même pas non plus comment il a été choisi, selon quelle procédure, etc. Par conséquent, ce projet n’est pas une fatalité, c’est un projet auquel l’État peut renoncer. Pour revenir à la proposition de résolution, celle-ci vise donc à permettre aux parlementaires de se prononcer en connaissance de cause sur des questions budgétaires d’une importance aussi grande que celle des PPP pour la construction de nos prisons. D’autant plus que les coûts que représentent ces projets contrastent totalement avec le sous-financement chronique de la justice et de la sécurité ».

Monsieur Michael Verbauwhede, député régional bruxellois (PTB) indique que « son parti s’oppose fermement au principe même du partenariat public-privé car il est source de pactole pour le privé et est problématique pour le public. Répondant à l’initiative de la plateforme quant à ce projet de résolution, il souligne l’importance du travail des associations sur le terrain qui s’opposent au projet de méga-prison. Le travail de ces associations est essentiel à la survie de la démocratie, lequel est cependant menacé par des coupes budgétaires importantes ».

Monsieur Vanden Burre, député fédéral (Ecolo) indique qu’« Ecolo a toujours dénoncé avec force la surpopulation carcérale, dont les causes sont diverses et connues. Au lieu d’y remédier, les gouvernements fédéraux successifs ont préféré choisir la solution de facilité en construisant toujours plus de prisons et un (premier) Masterplan de rénovation et de construction de nouvelles prisons a vu le jour en 2008, prévoyant la formule du PPP. C’est également selon cette logique que s’est développé le projet de méga-prison à Haren auquel Ecolo s’est fortement opposé depuis son annonce officielle. Que ce soit aux niveaux communal, régional et fédéral, les écologistes ont tenté tous les recours et les interpellations possibles en vue de s’opposer à ce projet démesuré et inadapté aux réalités carcérales actuelles. Sans parler du coût pour la collectivité qui est estimé à un total de 3,5 milliards, et sans aucun contrat disponible, alors qu’un accord a été passé avec le consortium privé Cafasso comme l’ont confirmé les Ministres de l’Intérieur et de la Justice, en réponse aux nombreuses questions orales posées. Tout en maintenant une pression maximale pour que le projet de méga-prison à Haren ne voit jamais le jour, il est donc temps d’analyser en détails les formules PPP qui ont été concrétisées depuis 2008, aussi bien au niveau du coût que de la qualité des services prestés ».

Monsieur Van Hecke, député fédéral (Groen) est d’avis qu’« il serait plus intéressant d’investir dans de plus petites prisons, qui offrent de meilleures chances de réintégration. Il ressort d’un rapport de la Cour des comptes de 2011 qu’une capacité de 300 à 400 détenus offre un meilleur rapport coût-efficacité que de plus grosses structures. Il existe aussi depuis lors des propositions visant à aller plus loin dans la différenciation entre l’exécution de la peine de prison et la taille de la prison. Depuis quelques années, le projet « De Huizen » soutient la réalisation de petites structures permettant de préparer à une meilleure réintégration. Suite à de nombreuses interpellations et face au dépôt de la présente résolution à la Chambre, le ministre de la Justice serait prêt à donner une chance à l’un ou l’autre projet alternatif. C’est une bonne évolution et c’est la raison pour laquelle il est préférable qu’il ne veuille pas revenir sur le méga-projet de Haren ».

Monsieur Brotcorne, député fédéral (CDH), rappelle qu’« il réclame depuis le mois de juin dernier un débat avec le Ministre de la Justice concernant les prisons en Belgique, le financement des nouvelles prisons, l’état d’insalubrité et de détention indigne des détenus de certaines autres. Par ailleurs, la question fondamentale se pose quant à l’adéquation de grandes structures pénitentiaires qui ne répondent pas aux nouvelles formes d’incarcération dans de petites entités telles les “Maisons”, petites entités de détention dans lesquelles le parcours individuel de détention peut être envisagé pour chaque détenu en vue d’une réinsertion durable et une baisse de la récidive. Le système carcéral belge ne répond pas à cet objectif et, alors que le Ministre de la Justice annonce qu’il s’inscrit dans cette optique, il persiste dans son idée de faire construire une méga-prison ».

Pour Madame Temmerman, députée fédérale (SP.A), « des prisons modernes et humaines exigent un financement transparent. Plusieurs gouvernements travaillent depuis des années à la problématique de la surpopulation carcérale de nos prisons, ce qui a conduit à la signature de masterplans en vue de nouvelles prisons ou de la réfection des anciennes prisons. A cette fin, il a été opté pour des partenariats publics avec le secteur privé (PPP) et plus précisément pour la formule DBFM. Mais le financement de ces constructions est-il suffisamment transparent ? Pas vraiment. La Cour des Comptes a affirmé que le budget 2015 ne suffit pas pour l’apurement de toutes les dépenses liées aux coûts d’exploitation des prisons existantes ainsi qu’à l’apurement des dépenses liées à la nourriture, à l’entretien et aux soins médicaux des détenus dans ces prisons. L’État paye à l’entreprise prestataire, via la formule DBFM, “une redevance annuelle de disponibilité”, un système qui n’est pas très conforme aux règles comptables européennes, de par le fractionnement des investissements ».

Pour plus d’informations : www.harenunderarrest.be. (désormais hors ligne).


https://www.dekamer.be/FLWB/PDF/54/...


[1Les membres associatifs de la Plateforme sont : Comité de Haren, Association Syndicale des Magistrats, Bruxelles Laïque, Le début des haricots, Inter-Environnement Bruxelles, Ligue des droits de l’Homme, Observatoire International des Prisons - section belge, Respire asbl, Mouvement Ouvrier Chrétien, Syndicat des Avocats pour la Démocratie, Association des familles et ami(e)s des prisonniers, Centre d’Accueil Postpénitentiaire et d’Information aux Toxicomanes Incarcérés, Centre d’Action Laïque. Les membres individuels (experts) de la Plateforme sont : Christine Guillain, professeur de droit pénal (FUSL), Dan Kaminski, professeur de criminologie (UCL), Damien Scalia, chercheur en droit (ULB), David Scheer, chercheur en criminologie (ULB), Luk Vervaet, auteur, ancien enseignant à la prison de Saint-Gilles.